Mohamed Abrini, l’autre survivant du 13-Novembre qui avoue… mais déçoit

Mohamed Abrini, lors du procès des attentats du 13-Novembre.

Mohamed Abrini, lors du procès des attentats du 13-Novembre. BENOIT PEYRUCQ/AFP

Pour la première fois, Mohamed Abrini donne sa version de l’organisation de la nuit de terreur du 13 novembre 2015, et du fait que Salah Abdeslam l’ait remplacé au sein des commandos, avant de renoncer à son tour. Sa version soulève de lourdes incertitudes mais elle éclaire grandement le procès.

A quoi ressemble un terroriste disant vouloir passer aux aveux ? A l’ouverture de ce 101e jour du procès des attentats du 13-Novembre, on l’ignore : un masque chirurgical remontant jusqu’au haut de son nez barre le visage de Mohamed Abrini, au moment où l’accusé se lève pour prendre la parole sur les jours ayant précédé l’attentat. A l’instar d’un juge d’instruction à l’ancienne qui, dans le secret de son cabinet, tenterait de détendre l’atmosphère pour s’assurer les bonnes grâces d’un suspect, le président de la cour d’assises se montre presque jovial : « Vous pouvez enlever votre masque, exceptionnellement », lance le magistrat. « Vous avez raison ! Bas les masques ! » rebondit immédiatement Mohamed Abrini, visiblement ravi de pouvoir caser une citation apprise par cœur : « Dans la vie, nous portons tous des masques et il arrive un jour où il est difficile de les arracher sans s’enlever la peau ! »

La semaine passée, le Belgo-Marocain, ayant grandi à Molenbeek dans le voisinage des frères Abdeslam, avait expliqué qu’il était initialement « prévu » dans les commandos des attentats parisiens mais qu’il avait finalement renoncé à se faire exploser, promettant de tout raconter lors de son interrogatoire de ce jour. Depuis, c’est comme si le procès, qui semblait jusqu’alors reposer sur la seule personnalité de Salah Abdeslam, découvrait aujourd’hui « l’autre survivant » des commandos.

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Très attendue, cette séquence d’aveux fut nécessairement décevante, la version des faits livrée par Abrini se heurtant rapidement à de lourdes imperfections. Durant cinq heures, l’intéressé va donc décrire sa vérité, imprécise et parcellaire, livrant toutefois ça et là des informations sur le rôle des uns et des autres au sein de la cellule terroriste.

Car la version de Mohamed Abrini, dont le frère a été tué en Syrie, apparaît comme presque trop simple. Selon son récit, la responsabilité de l’organisation des attentats passe durant les derniers jours entre les mains d’Abdelhamid Abaaoud, chef des commandos, et de Brahim Abdeslam, frère de Salah qui se fera exploser au Comptoir Voltaire. « Quand je vois Abaaoud, il m’annonce que je vais faire partie d’un projet. Je ne sais pas que c’est le Bataclan. Je ne sais pas que c’est la France. Je ne dis pas oui. Je ne dis pas non. Je dis rien. […] » raconte-t-il.

Le 12 novembre, il accompagne les membres du commando depuis la Belgique jusqu’aux planques parisiennes. « Mais moi, je ne peux pas aller tuer des gens dans la rue. Je ne peux pas tirer sur des gens. Je ne peux pas attaquer des gens non armés », déclare Abrini. Selon ses dires, il aurait déjà renoncé à s’équiper d’un gilet explosif et d’une Kalachnikov. « Pourquoi, vous descendez avec eux ? » s’interroge le président. « Je savais qu’ils allaient aller jusqu’à la fin, tuer des gens, se faire tuer par les forces de l’ordre. Après, je vais parce que… je ne sais pas. Je sais que je passe mes derniers instants avec eux », répond Abrini.

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Après ce renoncement, Brahim Abdeslam aurait décidé de lui désigner un remplaçant en la personne de Salah Abdeslam, profitant de son ascendant de grand frère. « Moi, je dis à Brahim Abdeslam et Abdelhamid Abaaoud que je ne le ferai pas. Brahim Abdeslam, voyant qu’il y avait un gilet en plus, a dû parler à Salah Abdeslam un ou deux jours avant, et lui dire : “Tu fais partie du voyage !” Normalement, c’était moi. La vérité de l’histoire, elle est là. »

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« J’aurais dû être sur les terrasses »

Son récit lui permet aussi de dédouaner Salah Abdeslam : « Pour moi, il ne devrait pas être dans le box. Il devrait être en Syrie, en Irak, mort peut-être, ou en Turquie avec Dahmani [autre accusé du procès arrêté le 14 novembre à Antalya, aujourd’hui détenu en Turquie]. » Selon lui, Salah Abdeslam et Ahmed Dahmani devaient partir ensemble le jour des attentats pour rejoindre l’Etat islamique.

Le 12 novembre 2015 au soir – et cet aspect-là de l’histoire est attesté par des images de vidéosurveillance ainsi que des témoignages –, Mohamed Abrini fuit la planque de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Il veut prendre le dernier train vers Bruxelles, le rate et repart finalement en taxi vers la Belgique… « Moi, j’aurais dû être sur les terrasses », précise-t-il, finalement, après avoir refusé de répondre. Sans convaincre, il assure ensuite qu’il ne savait alors rien des cibles.

Ses explications manquent toutefois de vraisemblance sur plusieurs points clés. Abaaoud, chef des commandos, connaissait bien Abrini : aurait-il proposé à un homme si peu motivé de participer aux attaques ? Comment Brahim Abdeslam, son frère Salah et Mohamed Abrini, filant dans la voiture ouvreuse du « convoi de la mort » ne se seraient rien dit du projet criminel durant leur trajet entre Bruxelles et Paris ? « Le 12 novembre, vous restez dix heures avec Abaaoud, Brahim et Salah Abdeslam, Akrouh et les deux Irakiens. Vous restez dix heures. Vous avez dû discuter ! Vous savez qu’il y aurait le Bataclan, les terrasses, le Stade de France », s’étonne le président.

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Enfin, hors du dossier parisien, pourquoi le 22 mars 2016 à l’aéroport de Zaventem, le Belgo-Marocain au passé de délinquant a-t-il une seconde fois renoncé à se faire exploser ? « C’est une excellente question ! » réplique Abrini. « Faites une excellente réponse ! » l’implore alors le président. En vain.

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« Vous vous comportez pendant tous ces jours [précédant le 13 novembre 2015, NDLR] comme un homme qui va aller jusqu’au bout », résume l’un des avocats généraux. Une opinion partagée par les parties civiles dont les rangs sont gagnés par une forme de frustration au fil de l’interrogatoire d’Abrini : « Je ne suis pas un combattant de l’Etat Islamique », leur répond-il. « J’aurais aimé que le 13-Novembre n’ait jamais eu lieu. »

Pour tenter de les convaincre, au détour d’une question, il souligne que son désistement a entraîné une réorganisation des commandos, réduisant la cellule terroriste du Bataclan de quatre membres initialement prévus à trois. « Vous dites qu’il y a eu moins de morts du fait que vous êtes parti », ironise une avocate. « C’est mathématique », répond-il avec aplomb.

Toutefois, il ne cille pas quand un autre avocat des parties civiles pointe sa lâcheté :

« La vérité, ce n’est pas que vous ne voulez pas tuer mais que vous ne vouliez pas mourir ».

A quoi ressemble un terroriste qui a renoncé ? Après cinq heures d’interrogatoire, dans son box, Mohamed Abrini replace son masque, l’étirant pour le remonter jusqu’au-dessus de son nez et dissimuler à nouveau son visage. Il n’a rien livré des vrais secrets opérationnels du 13 mais répond à son avocate qu’il se sent « un peu plus léger » après cet interrogatoire, salué comme une avancée par ses conseils.

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